SAMUEL LEMAIRE
IL NE FAUT PAS RÉDUIRE LE TRAVAIL DU CARICATURISTE A CELUI D'UN AMUSEUR PUBLIC
Propos recueillis par Farid Ouidder
Qui est Samuel le Maire ?
Je suis né en 1977 dans le sud de Bruxelles. Mes parents n’étaient ni l’un, ni l’autre versés dans l’art. Mon premier combat fut d’essayer d’imposer la peinture et le dessin comme un métier auprès de mes parents. J’avoue n’y être jamais parvenu. C’est bien plus tard et par le plus pur des hasards que j’ai commencé une carrière dans le dessin de presse. A cette époque, je travaillais pour le Ministère de l’intérieur. J’étais en charge des demandes de séjour basées sur le regroupement familial.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le dessin de presse ?
C’est un ensemble de choses. Ce n’est pas quelque chose qui s’étudie. Au départ, je voulais faire de la bande dessinée. Il n’y avait pas d’académie dans les environs où apprendre cette discipline. J’ai donc suivi des cours de dessin d'après modèle à l’académie. Très vite, j’ai été attiré par la peinture.
Parallèlement, J’ai toujours dessiné des gros nez dans mes cahiers scolaires.
Un jour, lors d’un BBQ chez des amis, j’ai rencontré un dessinateur de presse qui a montré un dessin réalisé ce jour-là, par moi, à son rédacteur en chef. C’était un dessin juste pour rire. Je ne m’étais jamais réellement penché sur cet univers. Deux jours après, je commençais comme dessinateur dans la presse satirique. Nous étions en 2004. L’aventure ne s’est jamais arrêtée depuis.
Quels ont été vos débuts professionnels ?
Je commence pour le journal satirique Père UBU. Un mois après, je suis contacté par la Tribune de Bruxelles. En 2008, je remporte un concours au sein de la Dernière Heure. En 2012, le groupe Sudpresse me contacte pour réaliser le dessin national dans ce quotidien (le plus important en Belgique francophone).
Suite à votre extraordinaire parcours de dessinateur de presse, comment pourriez-vous définir une caricature pertinente ?
Une caricature pertinente est un dessin qui parvient à résumer une situation complexe en une lecture qui demandera trois secondes de temps à un lecteur de plus en plus pressé. Ce n’est pas un travail qui doit faire rire à tout prix. C’est possible mais il ne faut pas réduire notre travail à celui d’un amuseur public.
Le texte ne doit pas être redondant par rapport au dessin. Les deux doivent se compléter. Une caricature pertinente est peut-être aussi ce travail qui doit se montrer sous le manteau parce qu’il pointe une chose qui est de l’ordre de l’interdit.
Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de revenir aux fondamentaux de notre métier. Ce dont on ne peut parler, il faut en parler.
Avec internet et les réseaux sociaux, notre métier a pris une tournure particulière. Les dessins se découvrent en dehors du contexte du journal qui les accueille. Décontextualisé, le dessin est soumis à plus de contraintes. Il y a le dictat du « like », les annonceurs veulent du chiffre et du partage. Cela a comme conséquence que notre boulot est plus faible. On ose moins. On est plus dans la communication que dans le fond. On cherche plus à plaire qu’à critiquer. C’est une différence importante.
Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Tout. Même si depuis les attentats, je fais beaucoup moins de dessins politiques. Je travaille principalement pour la presse médicale et touristique. Les faits d’actualité liés à la religion sont mes thèmes de prédilection même si le sujet devient de plus en plus compliqué à traiter.
Physiquement, je vais trouver mes sources sur internet et à la radio. Jamais la télé. J’aime tout particulièrement les forums de discussion. Sur certains sujets, cela me permet de connaître le niveau de connaissance qu’aura mon lectorat sur un sujet.
Le métier de dessinateur de presse est devenu un métier à haut risque (la tragédie de Charlie Hebdo !) Quel serait le rôle du caricaturiste pour combattre ses formes d’intolérance qui polluent notre existence ?
Notre métier a toujours été à risque. Etrangement, jusqu’aux caricatures de Mahomet, notre boulot n’avait jamais été aussi “cool”. Du moins, depuis les années 80. On pouvait, en occident, tout se permettre ou presque. La religion catholique et la haute présidence de nos Etats a été la dernière barrière franchie sur le vieux continent. En 1984, il était, en Belgique, encore impossible de caricaturer le Roi des Belges ! La loi ne l’interdisait pas mais personne n’aurait osé ! Ce qui est le plus frustrant dans les évènements récents, c’est que c’est de nouveau une vision rigoriste d’une religion (importée récemment dans ce cas-ci) qui vient refermer les portes de notre liberté d’expression.
Je me revendique anticlérical. Dans le sens où l’autorité religieuse, doit, tout comme toute autorité être critiquée. Que ce soit celle (l’autorité) des djihadistes, des imams, des curés, des rabins, des politiques….. Notre rôle est de critiquer tout pouvoir et non pas la religion en tant que telle qui est bien entendu respectable même si elle reste opposable. On peut espérer rappeler aux hommes qu’ils ne sont que des hommes. Dans le cas du Charlie Hebdo ou du journal danois (les deux journaux sont très différents l’un de l’autre, je les compare volontairement), c’est cette dimension qui n’a pas été comprise.
Je ne sais pas si le dessin a la vocation absolue de lutter contre l’intolérance. Le risque serait alors de classer le dessin dans une définition moralisatrice. Ce qui lui ferait perdre son sens premier. Etrangement, un dessin qui est excessif engendrera peut-être plus le débat qu’un dessin apaisant même si cela ne doit pas être un but en soi. L’avantage d’un dessin est qu’il peut aussi nous confronter à notre propre sentiment d’intolérance.
A titre d’exemple, on ne peut pas dire que les dessins danois étaient excessifs à la vue des évènements qui ont suivi même si les dessins sont réducteurs.
Vous avez brillamment participé à des ateliers de caricatures au Maroc au profit des enfants en situation difficile. Que gardez-vous de cette expérience ?
L’idée que vous avez eue et engendrée était excellente et novatrice. Comment mieux lutter contre l’incompréhension du dessin de presse qu’en en faisant réaliser par des enfants et de jeunes adultes. C’est bien entendu en expliquant le métier (et non en disant comment on doit réfléchir) qu’on lutera contre l’intolérance. Je retiens énormément de bonnes choses. J’apprécie énormément le peuple marocain dont je commence à comprendre la mentalité et cette pudeur toute particulière. Un peuple intelligent et cultivé. Une nation avec trop d'interdits mais qui a les bases suffisantes pour permettre des réformes en matière de presse. Je constate une nette évolution au sein des dessinateurs de presse marocains depuis 10 ans. Pour moi, les références au Maghreb restent Hic et Dilem (Algérie). Il faut cependant garder à l'esprit que la caricature existe en Algérie depuis bien plus longtemps que dans le royaume du Maroc. Les talents sont là et ne demandent qu'à pouvoir s'exprimer pour évoluer. Le Maroc n'aime pas les révolutions brusques. Je suis persuadé que les portes sont ouvertes vers plus de liberté et... de caricatures. Vive la satire.