Hammouda, caricaturiste

de "Al Ittihad Al Ichtiraki" et de "Libération"

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Artiste né, Hammouda, avec le regard lucide qui lui était propre, a su dénoncer grâce à ses caricatures les faiblesses d'un monde qui ne lui a jamais été accueillant. C'était sa façon à lui de mener le combat. Une imagination fertile et d'une grande finesse lui avait permis de s'imposer dans le milieu de la presse. Il a fait le bonheur des lecteurs pendant des années. Il nous a quittés prématurément le 4 mars 1998.
Petit-Jean. Sidi-Kacem. La capitale des chrardas représente pour le voyageur pressé, l'antinomie de la ville. Carrioles soulevant des volutes de poussière, une raffinerie qui pollue l'atmosphère et une eau à la limite du potable. Pour les gens du terroir, Sidi-Kacem est tout sauf cela. Hammouda était de ceux-là.
Le caricaturiste défunt de Libération aimait beaucoup sa ville natale. Surplombant la ville, une magnifique petite forêt de pins. C'est là que les ados que nous étions aimaient déambuler. De ces hauteurs, Hammouda jetait un regard d'une lucidité incroyable sur un monde qui ne lui a pas fait de cadeaux.
Son père lui avait fait la blague de mourir alors qu'il venait juste de boucler ses huit ans.
Un intervalle de deux mois entre le décès du père et la disparition de la mère avait suffi à plonger Hammouda et ses quatre frères et soeurs dans la misère la plus noire.
Un rebelle en herbe
Malgré un quotidien d'enfer, des horizons fermés et une scolarité interrompue brutalement par la mort de ses deux parents, le petit garçon de Sidi Kacem voulait être un héros. Cinéphile convaincu et fou inconditionnel de la BD, il rêvait d'une réussite comme celle qu'il voyait souvent sur l'écran du cinéma Vox. Il avait déjà à l'époque un joli coup de crayon. Quand on l'énervait, il se vengeait en nous croquant sur du papier dans des postures qui nous ridiculisaient.
C'était l'arme d'un garçon timide qui cachait son handicap sous des plaisanteries acides.
Si ses héros appartenaient à la légende, il avait néanmoins une vision lucide et des ambitions somme toute modestes.
Il aimait à jeter au visage de ses détracteurs des noms, des personnalités du terroir qui avaient réussi, qui avaient traversé les frontières pour une réussite bien méritée. Il voulait créer de la Bande Dessinée, être l'un des précurseurs en la matière au Maroc.
Une réponse encourageante des éditionsVaillant, en France, lui avait, à l'époque, remonté le moral. Mais les contraintes matérielles objectives lui avaient fermé les portes d'un exil qui aurait pu être doré.
Face à l'angoisse du quotidien, il offrait un humour à toute épreuve, une manière de se moquer de la vie qui dérangeait. Iconoclaste, il tournait les bourgeois en bourriques et les gens bien pensants n'avaient qu'à bien se tenir. Au cours d'une adolescence marquée par des remises en question, des tournoiements, des épreuves, il y avait néanmoins des lueurs d'espoir. Cet espoir avait des noms, les noms de ceux qui avaient quitté le terroir pour des lendemains meilleurs et qui avaient réussi.
Certains avaient fait une carrière militaire, d'autres s'étaient lancés dans les affaires, d'autres enfin avaient choisi la presse. C'est vers cette dernière que son coeur balançait le plus. C'est par le biais de cette fenêtre qu'il vomira ses griefs contre une société inhumaine.
Avec une culture de l'écrit très sommaire, il connaissait ses limites. Restait le dessin. La caricature, il la vivait au quotidien. Sa première fournée de dessins au tout récent Akhbar Souk créé à l'époque par Mohamed Filali lui avait valu un recrutement immédiat. Le jeune adolescent chétif, rongé par l'asthme, se retrouvait subitement plongé sous les lampes puissantes d'un bureau de haut standing dans un quotidien chic de Rabat.
C'était le départ pour une longue ouverture marquée par des rencontres intéressantes et des critiques acerbes à travers les dessins drôles.
Le sens de la dérision
C'est au journal Al Ittihad Al Ichtiraki que Hammouda va finir par parfaire son talent. Ses dessins allaient devenir pour bon nombre de lecteurs une référence à une vision sans fard d'une société marquée par des contradictions flagrantes. Son regard sur le quotidien était une perpétuelle caricature.
Il ne se départissait jamais de son humour et en toute occasion, il jetait sur les choses et les gens un regard lucide qui lui permettait de dénicher le ridicule, le visible et le drôle en toute situation.
Il se moquait tellement de la vie qu'on croyait qu'il lui était hostile de vivre. Pourtant il aimait jusqu'à la déchirure une vision du monde où la souffrance ne serait plus le lot de la majorité. Comme tous les artistes, il avait sa façon à lui de mener son combat. Ses moulins à lui, il les croquait d'un coup de plume rageur. Souvent ses dessins féroces ne dépassaient pas la rédaction en chef car il mettait rarement de rênes à sa fougue.
Il aimait beaucoup les Beatles, El Ghiwane et Brel. Il voulait comme ce dernier:
&laqno;Rêver un impossible rêve.
Porter le chagrin des départs.
Brûler d'une possible fièvre.
Partir où personne ne part
Aimer jusqu'à la déchirure Aimer, même trop, même mal».
Il n'en a guère eu le temps. Par ce matin du mercredi 4 mars 1998, une crise d'asthme bête et méchante l'a terrassé. On ne verra plus ses caricatures dans aucun journal.
C'est sa femme qui a résumé le mieux sa disparition: &laqno;Il m'a pris en traître». Une manière de dire qu'à 40 ans, la mort vous prend toujours en traître. Une façon aussi de lui dire: &laqno;Hammouda, tu n'es pas mort».

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